Les Belles Lettres
La France sans Antiquité
Si l'édition française avait de tout temps publié les classiques grecs et latins, c'était de moins en moins le cas depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Ainsi, les collections Panckoucke, Lemaire ou Nisard n'étaient plus disponibles et même si d'autres éditeurs proposaient, isolément, des textes anciens, ces éditions étaient ou bien peu sûres, ou bien uniquement en latin. Aucune maison d'édition n'avait donc de collection d'une bonne qualité générale, les étudiants en particulier étaient obligés de les commander chez Teubner, autrement dit une maison d'édition allemande. Ce qui était doublement vexant : non seulement l'édition française manquait à ses devoirs, mais encore c'étaient les Allemands qui les remplissaient. Que faire ?
Créer une association. Ainsi fut fondée l'Association Guillaume Budé. La petite histoire veut que l'origine lointaine de l'Association remonte au linguiste J. Vendryès : mobilisé en 1914, il avait voulu emporter Homère dans son paquetage. Or il n'existait d'Homère que dans l'édition Teubner, ou bien dans la petite édition scolaire d'A. Pierron, dans la collection verte d'Hachette, autrement dit, nulle édition "scientifique" française. De là l'idée de créer en France une véritable édition savante des textes anciens, afin de se soustraire à la domination allemande. L'Association fut donc fondée, avec pour objet la publication d'une ou plusieurs collections d'auteurs grecs et latins. Son nom dit aussi que, à la sortie de la première guerre mondiale, en pleine époque du machinisme et de l'industrialisation, il s'agissait de remettre à l'honneur les valeurs de l'humanisme. Cette association eut pour premier président Maurice Croiset et pour vice-presidents Louis Havet et Paul Girard.
1919 : Création des Belles Lettres
Alors que les universités ou les gouvernements étrangers finançaient l'édition des ouvrages de l'Antiquité, l'association Guillaume Budé se trouvait sans moyens. Plutôt que de s'agréger à un grand éditeur qui risquait de lui faire perdre son originalité, elle décida de trouver des investisseurs désireux de fonder une maison d'édition indépendante. D'où vinrent les capitaux ? "Des industriels français, amis des lettres classiques, nous ont offert, pour nous aider dans une tâche qu'ils regardent comme utile à notre pays, de constituer une société anonyme qui ferait les frais de nos publications, en assurerait la vente et rétribuerait les auteurs. " (Paul Mazon.) Il y eu trois cents actionnaires fondateurs. De son côté, l'Association garantissait la valeur scientifique des manuscrits à publier. La "société Les Belles Lettres pour le développement de la culture classique" qui deviendra plus tard la " société d'édition Les Belles Lettres", vit le jour.
Son premier président fut le grand helléniste Paul Mazon, traducteur, entre autres, de l'Iliade et d'Eschyle. Son siège se trouvait au 157, boulevard Saint Germain, dans le sixième arrondissement de Paris, entre les rues de Rennes et du Dragon.
1920. Le premier "Budé"
Le premier volume de cette collection d'auteurs antiques, la collection des Universités de France, dite familièrement "Budé", paraît en 1920. C'est l'Hippias Mineur, et une victoire majeure. Il suffit de lire les coupures de presse de l'époque pour s'en rendre compte. A les en croire, cette nouvelle maison d'édition, c'est la deuxième défaite de l'Allemagne. Aussitôt après paraît le premier volume de la série latine, le tome I du De la nature de Lucrèce. Notons que, depuis, chacune de ces oeuvres a fait l'objet d'un grand nombre de rééditions en 1994, près de cinquante mille exemplaires de l'Hippias mineur ont été vendus, et plus de soixante mille du De la nature.
D'abord directeur commercial, Jean Malye devient directeur général des Belles Lettres.
Les locaux du boulevard Saint-Germain s'avérant trop exigus, les Belles Lettres déménagent et s'installent au 95, boulevard Raspail. Un entrepôt, pour les stocks d'ouvrages, est trouvé à Montrouge. Le comptoir de vente aux libraires est au 36, rue de Fleurus, qui est resté son emplacement actuel.
Les années 20. Les principes d'édition
En 1921, paraissent l'Hippias majeur de Platon, les Caractères de Théophraste, les Satires de Perse, le De la clémence de Sénèque. Tout de suite, les Belles Lettres connaissent le succès. La collection " Budé " se développe, et devient dans son domaine l'une des plus prestigieuses du monde. Les textes établis par les Belles Lettres le sont d'après les manuscrits reconnus comme les plus importants. Ils constituent de véritables éditions critiques, qui cherchent à justifier le texte présenté, sans toutefois être pesantes. Les introductions et les notes réunissent tous les éléments nécessaires à la compréhension de l'œuvre et de son auteur. Quant aux traductions, selon les statuts de l'association Guillaume Budé, elles s'efforcent d'être à la fois exactes et littéraires, choisissant "avant tout de reproduire le mouvement, la couleur, le ton du texte antique". Qualités qui, rapidement, assurent la prééminence des Belles Lettres en fait de littérature antique, et le succès de la collection dans le monde entier. Combinant l'édition critique textes et les traductions vis-à-vis, avec des préfaces et des introductions spécialisées, la collection Budé a ajouté les lecteurs amateurs aux lecteurs spécialistes, et ainsi élargi le public des auteurs anciens.
Depuis 1920, le prestige et le succès
De l'Italie au Japon, des États-Unis à l'Argentine, les grandes universités se munissent de collections complètes de "Budés". Bien des amateurs de tous les pays commandent les désormais célèbres volumes jaunes à l'emblème de la chouette (série grecque), et les volumes rouges à l'emblème de la louve (série latine), imprimés sur le "vélin crème de Guyenne", de quatre-vingts grammes, spécialement fabriqué pour les Belles Lettres. La librairie Guillaume Budé, au coin du boulevard Raspail et de la rue de Fleurus, avec son nom dans le cartouche de pierre, devient un des détours de promenade du Paris littéraire.
L'intention des Belles Lettres n'étant rien moins que de publier tous les textes grecs et latins connus jusqu'à la moitié du VIe siècle, chaque décennie voit entreprendre ou s'achever des publications capitales, qui s'accompagnent de nombreuses manifestations, des congrès aux " croisières Budé". D'autre part, et dès leur création, les Belles Lettres évitent de se cantonner à la seule publication d'ouvrages grecs et latins de l'Antiquité. Elles leur adjoignent des textes latins du Moyen Âge, de la collection du même nom. De nombreuses autres collections voient le jour. Les textes français publient des ouvrages allant du XVIe au XIXe siècle, par exemple Les Fleurs du Mal, mais aussi le Traité de la concupiscence de Bossuet ou les oeuvres complètes du Chevalier de Méré. C'est également cette époque que commence la publication du théâtre complet de Molière. La Bibliothèque romantique inscrit à son catalogue des auteurs tels que Sénancour, Alphonse Rabbe, Alfred Le Poittevin, Philotée O'Neddy, Ballanche, Latouche ou Saint-Simon. Les Textes classiques anglais publient Shelley ou Wordsworth, alors que commence l'édition bilingue du Théâtre complet de Shakespeare. La collection Émile Sénart est spécialisée dans l'édition critique de textes sanscrits ou palis, avec traduction française en regard et d'importantes introductions.
Années 30
On peut citer, pour les années 30, l'édition du théâtre d'Eschyle. L'Iliade, en quatre volumes, paraît entre 1937 et 1943. Les sept volumes du théâtre de Plaute sont publiés entre 1932 et 1940.
Années 40
1973
Mort de Jean Malye. Lui succède à la tête des Belles Lettres son gendre Pierre de Mijolla, ancien officier de marine qui avait commandé les plus prestigieux navires de la flotte marchande, et expert maritime auprès des Nations unies.
1979. Le Cinq-centième volume
En 1979, la maison publie le cinq-centième volume de la collection des Universités de France : le quinzième et dernier volume des Vies parallèles, de Plutarque.
1988
A la veille de prendre sa retraite, Pierre de Mijolla prépare une nécessaire restructuration des Belles Lettres, qui doivent à la fois se renforcer et conserver leur indépendance dans un univers de concentration éditoriale toujours accrue. Le capital de la société est porté de 560 000 à 2 060 000F. Devenus actionnaires majoritaires des Belles Lettres, Michel Desgranges et Alain Ph. Segonds, par ailleurs l'un et l'autre membres de l'association Guillaume Budé depuis trente ans, deviennent respectivement président-directeur général et directeur général de la société.
1989 - 1993
Les locaux, plus vastes (3500 m2 couverts) permettent aux Belles Lettres de stocker plusieurs millions de volumes et de distribuer de nombreux autres éditeurs tant scientifiques (Éditions et Presses du CNRS, parmi d'autres) que de littérature générale (L'Âge d'Homme, etc.).
Michel Desgranges et Alain Ph. Segonds assurant la direction littéraire de la société, les Belles Lettres lancent de nombreuses nouvelles collections : "Histoire", "La Roue à Livres", "Vérité des Mythes", "Science et Humanisme"... et ouvrent leur politique éditoriale à des domaines entièrement neufs pour la maison : les pamphlets avec "Iconoclastes", l'économie avec "Laissez Faire", la poésie "Architecture du Verbe", etc. Hors collection, la publication d'ouvrages de Philippe Léotard, Jean-Edern Hallier, Francis Lalanne, Guy Debord, et bien d'autres, permettent aux livres des Belles Lettres de figurer à plusieurs reprises dans les meilleures ventes des librairies françaises. En même temps, Jean-Jacques Pauvert occupe les fonctions de conseiller éditorial.
1994
Naissance, au sein des Belles Lettres, des éditions Sortilèges. Elles publient les oeuvres libres inédites de Pierre Louys, Pouchkine,..
Les séries grecques et latines continuent à s'enrichir de nouveaux volumes. A ce jour, 682 volumes, 365 grecs et 317 latins (sans compter 15 byzantins), sont inscrits au catalogue,, Soit une moyenne de neuf volumes par an (il paraît désormais quatorze nouveautés par an). Depuis 1920, plusieurs millions de livres ont déjà été vendus. Comme la collection complète doit comprendre mille trois cents volumes, il doit encore paraître beaucoup de nouveau dans l'ancien. Et il ne s'agit pas seulement d'auteurs ou de textes mineurs. Ainsi, en 1992, ont débuté les éditions de l'Histoire Auguste et de la Description de la Grèce, de Pausanias, le plus célèbre "guide de voyage" de l'Antiquité.
Une des plus importantes publications de notre décennie est le début de l'édition de Lucien de Samosate par Jacques Bompaire, actuel président de l'Association Guillaume Budé. Le tome I de ses oeuvres a paru en 1993, et le tome II est en voie d'achèvement.
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Ouvrages distribués
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